Je m''étais levé plus tôt que d''habitude. Six heures du matin. La journée était importante, et je savais déjà que je n''irais pas jusqu''au bout.
Je suis allé chercher des croissants à la boulangerie, je me suis fait un café. J''ai regardé mes albums de photos. J''ai repassé un petit coup de chiffon inutile sur ma cuisinière impeccable, j''ai essayé de regarder un film, de lire, sans succès. J''ai consulté deux cents fois la pendule. C''est curieux comme le temps semble se ralentir, à l''approche d''un rendez-vous. Les heures deviennent visqueuses, s''étirent en minutes élastiques et gluantes comme un long fil de bave sous la gueule d''un chien. J''attendais ce moment final depuis tellement longtemps. Je n''irai pas jusqu''à dire que je m''en faisais une fête, mais j''étais curieux de savoir ce qui allait se passer. J''étais simplement contrarié que ça se passe ici. Au cours des dernières années, j''avais échafaudé mille projets insolites ou grandioses : tirer ma révérence au fin fond de la Chine, dans une fumerie d''opium ; chez les Aborigènes, au son mélancolique d''un vieux didgeridoo. Sur les pentes d''un volcan. Dans les bras de Jasmine, en plein coeur de Manhattan. Je n''avais rien fait de tout ça, évidemment. En bon procrastinateur que je suis, j''avais perdu mon temps à remettre au lendemain le choix de ma destination finale. Résultat, je n''avais pris aucune décision, et je mourrais chez moi, comme n''importe qui. Cette ultime matinée était très décevante, il me tardait d''en voir la fin.
Cinquante minutes avant l''heure prévue, comme je tournais en rond et que je commençais à m''enquiquiner ferme, je me suis allongé sur mon canapé-lit pour me détendre un peu, dans cette fameuse posture dite «du cadavre», bien connue des défunts et de ceux qui pratiquent plus ou moins le yoga, ce qui était mon cas depuis trois semaines. Paumes de mains tournées vers le ciel, jambes légèrement écartées, pointes de pieds tombant négligemment vers l''extérieur, diaphragme détendu, le souffle lent et calme, les yeux rivés sur cette saloperie de pendule accrochée sur la hotte, juste en face de mon lit, qui n''en finissait pas de grignoter mes secondes restantes avec la discrétion d''une vieille dame dont le dentier résiste à un quignon de pain.